Alors que l’agglomération dijonnaise se redécouvre vigneronne, Talant ne veut pas faire exception et réveille son terroir avec entrain. Rencontre avec Philippe Chautard, de la maison Louis Picamelot, qui va faire revivre le crémant de Bourgogne made in Talant. C’est lui qui, ici, va décoincer la bulle. Avec talent, cela tombe sous le sens.
Par Dominique Bruillot
Pour Dijon-Beaune Mag #66
Photos : D.R
Son enthousiasme n’est pas feint. Car ce qui l’intéresse, au fond, c’est redonner corps à la vigne, là où elle n’aurait jamais dû être oubliée. Le vigneron Philippe Chautard, avant de prendre pied (et cep) à Talant, est depuis longtemps à la tête de la belle maison Louis Picamelot, à Rully en Saône-et-Loire, un des fleurons de la production du crémant de Bourgogne. C’est donc en spécialiste des bulles qu’il a su trouver, avec la municipalité talantaise, le chemin qui mène à la résurrection de 8 hectares de vignes, entre les sites des « Epoutières » et de « La Côte aux ails ».
Une histoire de Nuitons
Il est bon, en premier lieu, de revenir aux sources. Talant a des origines viticoles, c’est indéniable. La position dominante du village historique, 359 mètres au-dessus de la mer, en faisait déjà une cible stratégique pour Eudes III. Le duc, après avoir négocié l’affaire avec l’abbaye Saint-Bénigne, y installe un château ducal avec vue sur Dijon. Mais cette forteresse ceinte de hauts murs a besoin de serfs auxquels on abandonne un peu de terre. Ce qui provoque la venue de Nuitons aguerris au terroir. Lesquels obtiendront assez vite, dès 1215 le « droit de vendanger librement aussitôt que le duc aura établi des gens pour garder ses vignes ». Fermez le ban !
Cet épisode nous apprend déjà que bon nombre de Talantais sont d’origine nuitonne. Qu’on se le dise, car cela mettra un terme à certaines pseudo guerres de clochers entre le cœur de la Côte et la Métropole. On sait aussi qu’en 1391, « les vignes de Talant produisent 202 muids de vin ». Soit l’équivalent de 72 000 bouteilles aujourd’hui. Et, sur les pentes de la ville, des noms qui chantent : Grand Clos de la Barre, Clos Marosse, Clos Marchand, Clos Nievelle, Vigne Mardor…
Vins de Talant… et de talent
Après avoir été longtemps vendus sous le nom de « Vins de Dijon et sa banlieue », ces jolis breuvages obtiennent en 1610, par décret, l’appellation « Vin de Talant », récompense légitime de leur réputation parmi le meilleur du terroir local. Preuve indéniable d’un tel rayonnement : le cellier de la Cour du Roy, vestige du château originel, ressuscité après quatre siècles d’oubli en 1983, est devenu un précieux lieu de réception pour les riverains.
Philippe Chautard ne voyage donc pas en terres inconnues. Dans la belle église Notre-Dame, on peut ainsi constater que le petit Jésus de la Vierge du XVIIe siècle en pierre polychrome, tient une grappe dans ses bras. Plus qu’un signe, une religion !
Dans le même temps, ambiance générale aidant, après plusieurs étapes de renaissance viticole (25 ares de chardonnay replantés par Jean Dubois en 1993, 20 ares dix ans plus tard par son neveu Christian Perrin, 70 ares au total sous la gestion de Christophe Bouvier), Talant a décidé de passer à la vitesse supérieure. Avec une extension que le Conseil municipal a confiée au vigneron saône-et-loirien, sur les bases d’un bail emphytéotique. Philippe Chautard a donc un siècle devant lui pour réussir son coup.
« Ça sentait bon le terroir ! »
Hériter d’une longue lignée viticole (*), vice-président de l’Upecb (Union des Producteurs et Élaborateurs de Crémant de Bourgogne), à la tête d’une maison qui s’impose avec élégance sur le marché des effervescents, Philippe ne débarque pas dans le Dijonnois les deux mains dans les poches : « Il y a une part d’aventure, je ne savais même pas au départ qu’il y avait du vin à Talant, mais je l’ai appris par la suite grâce aux écrits de Jacky Rigaux. » Le camarade Jacky, que nous sommes fiers d’avoir en tant que consultant pour nos publications, n’a pas été le seul élément déterminant dans son engagement. Le vigneron y met une touche plus personnelle, plus intuitive, qui appartient aux mystères du vin : « Ça sentait bon le terroir ! » Imparable !
Son ancrage dépasse les apparences. « Bientôt, sous l’église de Talant, on va replanter tout en travaillant sur l’historique », annonce le vigneron qui, entre deux travaux sur les sols, n’hésite pas à remettre de la vigne mère avec la pépinière Mercier et à sauver de la disparition pour les replanter au pied de ses rangs, les derniers spécimens vivants de la Rose Alix de Vergy, emblème local s’il en est. En toute chose qui se reconstruit, il y a donc de la poésie à saisir. Et on a hâte, dès 2022, de savourer cette bulle si bien décoincée.
(*) Son grand-père maternel, Louis Picamelot, comptable chez Ambal à Rully, décide de créer en 1926 son domaine avec son propre père, Joseph Picamelot, alors tonnelier. Une histoire familiale passionnante que nous ne manquerons pas de raconter en deux autres étapes, dans les prochains Dijon-Beaune Mag.