La patron de la fromagerie Delin a été l’entrepreneur en vue lors du confinement, faisant de ses produits des armes de résilience sur le terrain du circuit local. Entre fromage Côte d’Or, lait et yaourts de Bourgogne-Franche-Comté, investissement maintenu dans le sport dijonnais et ouverture promise d’une grande boutique d’épicerie, Philippe Delin démontre que pour traverser les tempêtes, il faut aussi savoir être prophète en son pays.
La Fromagerie Delin a imaginé le fromage « Côte d’Or » a avant le confinement. Ce timing particulier lié au Covid a-t-il profité à votre création ?
Non, nous avions lancé ce fromage pour les Trophées de l’agriculture avec le Conseil départemental. Nous avions réussi à le sortir à temps, il était déjà très bien perçu fin février… puis la distribution a été neutralisée, on ne vendait plus rien. On n’avait pas eu le temps de le référencer et tout le monde se ruait sur le papier toilette. Suite à ce coup d’arrêt provoqué par le confinement, nous avons décidé d’en offrir à des associations caritatives comme la Banque alimentaire.
Certains marchés se sont effondrés à l’export mais, dans le même temps, les ventes de la boutique à Gilly-lès-Cîteaux ont explosé…
J’avais demandé au préfet de pouvoir continuer à ouvrir la boutique, qui n’a jamais été fermée. La fromagerie, elle, tournait au ralenti avec seulement 10 ou 15 personnes. Avec Simon (ndlr, Simon Zamparutti, responsable des sites chez Delin) nous avons pris la décision de proposer une offre large de produits de Bourgogne-Franche-Comté issus de chacune de nos fromageries*. Le chiffre d’affaires de la boutique de Gilly a été multiplié par cinq, pour approcher les 200 000 euros en avril, soit pas moins de 200 à 300 commandes par jour ! Ce qui nous a permis de rapatrier les personnes en chômage partiel pour assurer les livraisons. Nos salariés ont vu qu’ils pouvaient faire autre chose que de la production et se mettre au service de la population. L’ostréiculteur Jean-Charles Ledentu nous a rejoints, il a pris ses habitudes. Le parking est devenu un petit marché de producteurs indépendants.
* Outre la maison-mère de Gilly-lès-Citeaux, la fromagerie Delin c’est aussi les fromageries Juchy à Lizines (77), Chevillon (52) et Montbéliard (25), ainsi que la Laitière de Bourgogne-Franche-Comté à Sainte-Marie-la-Blanche (21).
« Nous avons agrandi le parking pour accueillir un chapiteau dès la fin d’année, accueillir des producteurs qui s’inscrivent dans notre veine. À la gamme des fromages s’ajoutent plein d’ambassadeurs du circuit court. »
Il se dit même que vous allez construire, devant votre unité de production, un magasin dédié aux circuits locaux…
Ce projet était déjà dans les tiroirs pour la célébration des 50 ans de la fromagerie l’année dernière. La situation m’a renforcé dans mon choix. Nous avons agrandi le parking pour accueillir un chapiteau dès la fin d’année, accueillir des producteurs qui s’inscrivent dans notre veine. À la gamme des fromages s’ajoutent plein d’ambassadeurs du circuit court : des asperges, des pommes de terre bio du Châtillonnais… Quand il sera construit, ce petit supermarché voué au local s’étalera sur 200 m2 avec un accès direct. On pourra aussi y organiser des dégustations. Dès octobre 2021 si tout va bien.
Le marché local peut-il à lui seul sauver une entreprise comme Delin ?
Non, Delin c’est 800 tonnes de production annuelle. On peut augmenter l’offre locale, mais cela ne suffira jamais à compenser le déficit d’une crise comme celle-là. D’ailleurs, si elle venait à perdurer, on ferait autrement.
Bientôt 30 millions d’euros de CA, puis 50 dans une vision plus lointaine : la quête du volume d’affaires est-elle une stratégie incontournable pour la fromagerie ?
On continue notre petit bonhomme de chemin. Nous subissons le marché, contraints de mettre en rupture certains clients. Je pars aussi du principe que tout cela a été « affiné » depuis 50 ans par la famille. Le brillat aux truffes, les nouvelles solutions apéritives et l’innovation sont les vecteurs de cette évolution. Tout comme la croissance externe. La reprise du site de Montbéliard renforce notre assise en Bourgogne-Franche-Comté. Le lait cru aromatisé est notre ADN. Dans le même temps nous développons la production en bio, nous déclinons des gammes de plus en plus audacieuses. Après avoir créé un yaourt au caviar pour l’export, nous imaginons en faire un à base de fruits de mer ! Cette progression est naturelle, même pendant cette drôle de période. En avril, le chiffre d’affaires de la fromagerie avait chuté de 15 à 20 %, fin juin il reprenait 8,5 %.
Le yaourt de Bourgogne-Franche-Comté rejoint le lait régional sur les étals, avec une mise en avant des producteurs sur les emballages. Marketing territorial ou démarche militante ?
Quand nous l’avons reprise, la coopérative laitière de Bourgogne à Sainte-Marie-la-Blanche était dans une très mauvaise situation. L’objectif était de mettre en place une filière laitière régionale, pour assurer nos approvisionnements mais, en même temps, vendre du lait. L’idée de mettre les producteurs en avant sur les emballages est venue après. Une fromagerie n’est rien sans ses producteurs. C’est aussi le moyen de s’engager sur le prix du lait acheté au producteur. Puis nous avons décliné ce marketing territorial à l’échelle régionale avec les yaourts.
« Une fromagerie n’est rien sans ses producteurs. »
On vous sait passionné de sports, autre terrain d’expression des circuits locaux. Il paraît même que l’appellation Bourgogne Côte d’Or va rejoindre le fromage Côte d’Or dans une loge partagée au DFCO…
Début octobre, on devrait voir une grosse brique de lait de Bourgogne-Franche-Comté débarquer à côté du lapin mascotte de la JDA. Avec le vigneron Philippe Charlopin, qui porte l’appellation Bourgogne Côte d’Or, on a pris une loge en commun au DFCO. Tout cela répond à une même logique où le militantisme territorial et la passion pour le sport se rejoignent.
Cette situation exceptionnelle nous sidère. Est-elle salutaire pour le local au final ?
C’est une remise en question nécessaire pour le consommateur. Le retour aux circuits locaux fait vivre l’économie locale, c’est une évidence. La remise en question est transversale. Elle nous oblige, nous les pros, à communiquer différemment. Le résultat suit. Avec 1 200 fromages Côte d’Or produits chaque semaine, nous sommes déjà en rupture. Ce produit a été calibré pour réussir. Il est de proximité, d’un format (250 g) qui lui permet de passer partout, gourmand avec une croûte un peu riche. Il n’a rien d’anodin, on l’a vite identifié et adopté.
DBM et DijonBeaune.fr vont faire gagner à ses lecteurs un an de lait et un an de yaourts ! Que faut-il dire pour les encourager à participer à ce concours ?
Que le lait local est d’une qualité supérieure. On a fait une dégustation à l’aveugle. Le caractère plus onctueux dû à la stérilisation plaît. Les yaourts sont faits avec ce lait entier, sans édulcorants. Ils sont un peu plus chers certes, mais on sait d’où ils viennent et on sait que tout le monde est payé dans la chaîne de production !