Le maire de Villars-Fontaine, Pierre Lignier, a transformé une carrière de pierre abandonnée en amphithéâtre à ciel ouvert, où se produisent chaque année lors du festival Street Art on the Roc les meilleurs street artistes mondiaux. Aujourd’hui, il est poursuivi pénalement pour un supposé « vol de pierres » sur le site qu’il a fait déblayer sur la commune des Hautes-Côte de Nuits. La procédure soulève de nombreuses questions. Explications.
Par Arnaud Morel
Il n’en est pas encore revenu, Pierre Lignier, quand, le 21 mai dernier, il découvre en une du quotidien départemental Le Bien Public qu’il est « poursuivi pour vol de pierres ». Une surprise compréhensible : l’édile n’est au courant de rien, l’affaire dont il est question a été une première fois classée sans suite en juillet 2017 par le parquet de Dijon, et il n’a même pas été contacté par le journaliste du quotidien avant publication de l’article le mettant en cause. Un comble. Celui-ci se défend de toute erreur professionnelle : « Je dois avoir un mauvais numéro de téléphone, ou Pierre Lignier ne me répond pas. Et dans ce cas, je balance », nous explique-t-il. Pourtant, jouant les béotiens, nous avons contacté la mairie de Villars-Fontaine pour parler à l’édile, et nous avons, dans la seconde, obtenu son numéro de mobile. Peut-être avons-nous eu une chance hors du commun ?
Déblayage litigieux
L’affaire en elle-même remonte à juin 2017, quand la mairie de Villars-Fontaine acquiert, après de nombreuses tractations, le site de l’ancienne carrière de marbre de Comblanchien situé près du village. Celle-ci n’est plus exploitée depuis des lustres, et son exploitant Daniel Thibaut est en faillite. La SCI Société Bourguignonne de Construction, propriétaire du site, décide de vendre à la mairie de Villars-Fontaine. L’endroit tient alors moins de la carrière que de la décharge à ciel ouvert, des dépôts d’ordures sauvages polluant tout l’espace. Pierre Lignier le fait nettoyer. Il déblaye des pierres qui encombrent le site et qui se trouvent, pour partie, sur l’espace public. Tel est l’objet du litige.
Au décès de l’exploitant, Daniel Thibaut, ses héritiers, Eddy et José Thibaut, estiment que ces pierres leur reviennent de droit ; ils déposent plainte contre le maire de Villars à la gendarmerie de Nuit-Saint-Gorges, le 18 mai 2016. Instruite, cette plainte est classée sans suite le 5 juillet 2017 par le procureur de la République Éric Mathais. Mais les héritiers ne se satisfont pas de ce classement ; ils changent d’avocat et leur nouveau conseil, Maître Thierry Dumoulin, du barreau de Lyon, fait appel du classement sans suite, comme le prévoit le code de procédure pénale. « Le procureur général près de la Cour d’Appel de Dijon, Jean-Jacques Bosc, a estimé qu’il y avait dans cette affaire matière à débat devant le tribunal correctionnel », précise l’avocat. La procédure est donc à nouveau engagée, et doit déboucher sur un procès dans les prochaines semaines. « Il n’y a pas d’éléments nouveaux dans cette affaire, mais, en deuxième appréciation, j’ai décidé de poursuivre. La chose n’est pas exceptionnelle, mais demeure rare. Nous confirmons en moyenne 80% des décisions de classement », analyse le procureur Bosc.
« Mon client ne compte pas les transformer en pendentifs ! »
Pierre Lignier passera donc devant le tribunal correctionnel, accusé de « vol de pierres ». Et ces fameuses pierres, où sont-elles ? Et que valent-elles ? Il s’avère qu’elles sont tout à fait disponibles, stockées sur le site d’un autre carrier à Comblanchien, la Société d’Exploitation et de Transformation de la Pierre (SETP), qui a gratuitement déblayé le site pour apporter sa contribution à la transformation du lieu en espace dédié aux arts. Et qu’elles ne valent sans doute pas grand-chose, comme le confirme son gérant Jean-Roch Deswarte : « Ces pierres étaient abandonnées sur le site depuis des années, et n’ont aucune valeur marchande. Elles sont fissurées, et peuvent, au mieux, servir de granulat après concassage. Mais ça engendre évidemment des frais. » D’ailleurs, lors de la liquidation judiciaire de l’entreprise de l’exploitant de la carrière, le liquidateur a cherché à vendre ces encombrants cailloux, sans succès. Autant dire qu’il est plus que curieux qu’elles se trouvent aujourd’hui au cœur d’un contentieux pénal. « Mais que les héritiers Thibaut les prennent, ces pierres », s’exclame Maître François-Xavier Mignot, l’avocat de Pierre Lignier. « Mon client n’en a que faire, il ne compte pas les transformer en pendentifs ! »