Premiers crus ou la dégustation cinématographique des bons sentiments

Critique. Premiers crus évoque les vertus et les difficultés de la transmission en Bourgogne. Porté par les bons sentiments, de belles images et pas mal de stéréotypes sur la famille, le film de Jérôme Le Maire se déguste avec plaisir et sans grand cérémonial, comme un vin plus fruité que long en bouche.

premierscrus

Par Dominique Bruillot

« Ça n’est que du cinéma! » Elle a raison ma voisine de projection. Premiers crus doit être vu comme un film, pas comme un documentaire. Cela permet par exemple de croire, pour les besoins du tournage, que les vignes du château de Pierreclos sont mitoyennes avec celles du Clos Vougeot. Et qu’un fils de vigneron voulant échapper au fardeau de la transmission peut devenir la terreur des terroirs, le grand gourou des marchés du vin.

Plus lent que long en bouche

S’il fallait comparer le film de Jérôme Le Maire à un vin, on le trouverait un brin convenu et sans surprise, joli et plaisant, avec un arrière-goût de naïveté. Pas de quoi lui décerner un 99/100 à la Parker mais suffisamment bien fait pour identifier dès le premier nez des notes agréables de fruits rouges. Premiers crus est plus lent que long en bouche quand la réalisation sombre dans une certaine mollesse. Ce long-métrage gagne aussi en vivacité lorsqu’il révèle ses tanins amoureux.
Premiers crus émerveillera sans doute le bobo œnophile avec son cheval qui creuse le sillon de la renaissance du domaine Maréchal et l’élevage du vin dans des amphores, comme au temps des Romains. Il lui donnera le sentiment d’entrer dans le Saint des Saints en lui confiant ce secret digne de Bacchus: il ne faut jamais vendanger avant que le raisin ne dégage des arômes de réglisse! Le côté obscur et mystique de la vigne bourguignonne est donc toujours source de fantasmes. Il est ici un sympathique prétexte pour s’intéresser à la problématique sensible en Bourgogne de la transmission du savoir-faire et à la répétition, d’une génération à une autre, des amours transies entre certains voisins vignerons plus ou moins rivaux.
Qu’on se rassure cependant, l’histoire finit bien. Les histoires d’argent sont à peine effleurées (le nerf de la guerre pourtant) et les héros du film ont le sens du terroir et de la famille. Le désabusé et définitivement bourru Gérard Lanvin/Maréchal ne prend ainsi que peu de temps le large avant de renouer les liens avec son fils prodigue. Ce dernier, campé par un Jalil Lespert assez crédible dans cette filiation, se coupe vite des mondanités parisiennes pour accomplir son destin avec une inspiration qui force l’admiration.

Une romanée-conti 66

Tout cela est beau comme le moût d’un grand cru, servi avec grâce par une photographie remarquable si l’on oublie l’obstination du réalisateur à amalgamer comme s’ils se touchaient les vignobles de la Côte-d’Or et du Mâconnais, pourtant si différents! Au moment même où L’Unesco consacre la subtilité de la mosaïque des climats de Bourgogne au mètre près, cet angle de vue nous semble un peu large.
Tant pis. Ils demeurent attachants et pleins de ressources nos vignerons du grand écran. Au bord de la faillite, on les voit célébrer leur réconciliation entre père et fils avec une bouteille de romanée-conti 66! On les sait capables de fourguer et brader à Givry des stocks de mauvais vins en échange d’une bonne note dans un guide, ce qui suffirait à remettre à flot une trésorerie exsangue jusqu’à la prochaine mise en bouteille, soit sur une période de plus de 18 mois! Plus qu’attachés, comme on dirait un soir de chapitre au Clos de Vougeot, nous leur sommes aligotés.
Dans la vraie vie, le scénario aurait été autre sans doute. Par facilité, Alice Taglioni aurait choisi le confort d’une vie aisée auprès de son riche bellâtre en Argentine, Jalil Lespert retrouvé son assistante en tailleur Chanel dans sa piscine à Paris, Laura Smet rangé ses casseroles et remisé son tablier de cuisine pour faire du cinéma. Gérard Lanvin, quant à lui, aurait gentiment laissé son bateau pourrir sur cale dans sa grange. Tout le contraire du happy end auquel nous invite Premiers crus.
« Mais c’est tant mieux, car la vie n’est belle qu’au cinéma! », me rappelle ma voisine de l’avant-première. Elle a raison après tout: plutôt que de faire le tatillon grincheux, autant se laisser bercer par une petite dégustation de bonheur rural sur grand écran, non?

Visionnez la bande annonce du film :