Il y a quelques jours, l’annonce de la hausse de la TVA dans la restauration a été l’occasion d’un vrai questionnement sur l’avenir du métier. Invité par l’UMIH Côte-d’Or, l’expert Bernard Boutboul(1) revient à cette occasion sur l’avènement d’une restauration rapide à la française. Loin de céder aux sirènes de la malbouffe, la France fait de la résistance culinaire contre le diktat du fast-food à l’américaine.
Par Geoffroy Morhain
Alors que les statistiques assurent à la restauration hors domicile un avenir tout tracé
– augmentations durables et simultanées de la population, des sorties hors domicile(2) et des repas déstructurés(3) –, la France semble pourtant bien décidée à ne pas se faire écraser par le rouleau compresseur de l’uniformisation alimentaire version US. Si le « Touche pas à mon pote » n’est plus forcément d’actualité, le « Touche pas à mon repas » mobilise encore de nombreux Français. Le peuple gaulois a horreur qu’on viennent fouiller dans son assiette et n’a pas dit amen au diktat du fast-food industriel.
Du zinc à Cojean en passant par MacDo
Preuve en est, les adaptations apportées et l’autonomie accordée par McDonald’s à ses établissements français : baguette et charolais, traçabilité des produits, conseils diététiques, coin café, service à table… Comme son nouveau logo (adopté depuis par la Suisse et l’Allemagne aussi), MacDo France s’est mis au vert. Et les quelques 1,7 millions de repas servis chaque jour dans l’Hexagone par le n° 1 mondial du hamburger ne ressemblent pas vraiment aux autres (plus de 60 millions de repas quotidiens à l’échelle planétaire, au rythme délirant de 58 hamburgers par seconde).
Pour mieux saisir ce phénomène de résistance culinaire avérée, revenons dans les années 1960, à l’époque où les 200 000 cafés du pays abreuvaient nos compatriotes et les nourrissaient, vite fait, mal fait, à coups de sandwichs médiocres, d’œufs durs indigestes et de saucisses-frites huileuses avalées sur un coin de comptoir. De nos jours, avec seulement 36 000 établissements, le temps du zinc semble révolu, mais pas celui de la restauration hors domicile pour autant, qui pèse désormais plus lourd que son homologue traditionnelle avec service à table et tout le toutim. Un marché énorme (34 milliards d’euros, soit 54 % de tout le secteur de la restauration en 2012), sur lequel les grandes enseignes multinationales ont bien évidemment fondu…
Jusqu’au jour où un certain Alain Cojean allait redistribuer la donne avec un nouveau concept prouvant que la restauration rapide n’est pas forcément la négation du bien-manger à la française. En 2001, cet ancien cadre chez McDonald’s lance à Paris son premier établissement de restauration rapide haut de gamme à base de salades, sandwiches, tartes, soupes, jus de fruits, plats chauds… Malgré un emplacement hasardeux, dans une petite rue mal fréquentée du quartier de l’Olympia, le succès est immédiat et débouche sur la création d’une chaine (22 restaurants aujourd’hui) basée sur des valeurs de bien-être et de développement durable. Ce nouveau concept très parisien et résolument bobo va rapidement trouver de multiples déclinaisons pour se démocratiser et se développer dans toute la France. A ceux qui reprochent à la patrie de s’américaniser à outrance, Cojean oppose un nouveau style de fast-food, respectueux de la place assise – contrairement aux Anglo-Saxons, les Français n’absorbent rien en mouvement, c’est culturel ! –, de l’environnement et d’une certaine convivialité, en accord avec le slogan « Nourrir, Aimer, Donner » (et la fondation qui va avec).
Le bien-manger français en bocal
En 2009, en bon épicurien, le journaliste et chroniqueur gastronomique Vincent Fermiot va encore pousser plus loin le concept de « restauration rapide à la française » en créant Boco, un fast-food « restructuré », qui concilie rapidité, praticité et repas structuré en mettant entrée, plat et dessert en bocal : « Le “boco”, c’est simple et beau, un contenant très pratique, hygiénique et rétro. En plus c’est bon : dans chaque boco, une recette exclusive de chef étoilé, mijotée chaque jour à partir de produits frais et bios », résume le site internet de l’enseigne. A une quinzaine d’euros les deux items (entrée-plat ou plat-dessert), la secrétaire pourra ainsi se faire livrer, en bocaux et au bureau, un velouté de lentilles d’Anne-Sophie Pic ou un bœuf bourguignon de Jean-Michel Lorain par exemple. Avec sa fraicheur, ce concept, qui offre l’opportunité de déguster de la grande cuisine de façon simple et originale, a de beaux jours devant lui. Localement, des chefs comme David Zuddas à Dijon ou Laurent Peugeot à Beaune s’intéressent de près à ce joli principe de mise en bocal.
Au final, bocaux de grands chefs ou pas, les professionnels vont devoir jouer de créativité pour coller à l’évolution de nos styles de vie et satisfaire un consommateur toujours plus exigeant : faire à la fois moins cher et plus rapide, moins structuré et plus généreux, le tout avec une qualité irréprochable… Une équation difficile à résoudre sans dégrader ses marges, qui nécessite la réinvention d’une restauration rapide à la française répondant aux contraintes du monde moderne sans pour autant trahir notre patrimoine culinaire. Le défi est de taille, mais il paraît qu’impossible n’est pas français.
(1) Consultant du cabinet Gira Conseil, spécialisé en hôtellerie-restauration.
(2) En France, 1 repas sur 5 est pris à l’extérieur, un des taux les plus bas d’Europe exceptée l’Allemagne (1 sur 7), loin derrière la Grande-Bretagne (1 sur 3) ou les Etats-Unis (1 sur 2).
(3) Qui ne se plient pas à la sacrosainte trinité française « plat-entrée-dessert ».