Écrivain et dramaturge le plus joué et traduit dans l’histoire du théâtre français, René de Obaldia est dans sa 101e année. DijonBeaune.fr, qui connait son attachement à la Bourgogne, a pris de ses nouvelles. Le doyen de l’Académie française vit légitimement cette crise du Covid-19 avec sagesse et détachement.
Propos recueillis par Antoine Gavory (ProScriptum)
La question n’est pas si banale, pardonnez-nous : comment allez-vous ?
René de Obaldia : À 25 ans, je commence à avoir certains problèmes liés à mon âge… (sourires) Je suis dans mon appartement, à Paris, avec ma bibliothèque qui commence à être garnie avec les années.
Quel sens donner à cette crise ?
C’est un événement comme il y en a toujours eu dans l’histoire. Quand je suis né, la grippe espagnole ravageait le monde. Quand j’ai eu 15 ans, c’est une épidémie de tuberculose qui sévissait, on envoyait les jeunes couples au sanatorium. Quand la tuberculose a été vaincue, ç’a été le cancer… Depuis que l’Homme existe, il y a toujours eu des moments comme ça ; des épidémies, des guerres, des fléaux, hélas. Nous en avons un nouveau qui était imprévu. Il y a un sentiment d’impuissance, on ne peut pas faire grand-chose.
En profitez-vous pour écrire ?
Non. Sur ce sujet, il y a tant de choses à dire. L’écriture n’est plus la même. La littérature n’est plus telle que je l’ai vécue. Avant, l’écriture, le livre, avaient un sens, une résonance. Ce n’est plus le cas des jeunes générations. J’ai une bibliothèque évidemment importante au fil des années mais si je devais léguer cela à mes enfants, ils n’ont plus la place, et ce n’est pas une chose qui interpelle. Aujourd’hui, on tape sur des machines.
Vous ne pensez pas que la culture soit importante ?
Vu les circonstances, la lecture et la musique donnent quelque chose de positif, c’est vrai. Mais ce n’est que provisoire.
On demandait à Cocteau : « Que pensez-vous de la mort ? ». Il répondait : « La mort, j’y suis habitué. J’ai été mort si longtemps avant ma naissance. » Voilà ce que je ressens moi-même.
Vous n’êtes pas très optimiste…
Non. Le problème qui demeure entier, c’est le problème de l’Homme, d’abord. Qu’est-ce que l’Homme ? Ensuite, il y a celui de la mort, omniprésent en ce moment. On m’interviewe souvent sur la mort, car j’en suis très près. Je réponds que la mort est la chose la plus naturelle qui soit, la plus banale. Le plus extraordinaire, finalement, c’est d’être. Il y avait un mot de Cocteau à qui l’on demandait « Que pensez-vous de la mort ? ». Et lui de répondre : « La mort, j’y suis habitué. J’ai été mort si longtemps avant ma naissance. » Voilà ce que je ressens moi-même. L’Homme n’est pas bon fondamentalement, il est tiraillé par de multiples contradictions. Si on me demandait ce qu’est l’Homme, je pourrais dire que c’est à la fois saint François d’Assise et Adolf Hitler !
Vous n’avez pas l’air très perturbé…
On se soucie toujours des amis, de la famille, mais tout cela fait partie de l’ordre et le désordre des choses. Cela fait partie de l’univers et de l’humanité.
Est ce que le terme de guerre, l’ayant vécue vous-même, vous convient pour déterminer cette crise du Covid-19 ?
Non, ce n’est pas la guerre. La guerre, ce sont des bombes qui vous tombent dessus, des maisons en feu… Ce n’est pas le cas. J’ai été quatre ans et demi dans un camp de prisonniers nazi, dans des circonstances compliquées, mais j’ai réussi à en sortir vivant parce que j’ai pris le parti de vivre. La guerre n’a rien a voir avec ce que nous vivons.