Le tramway dijonnais a cinq ans. L’occasion, à travers l’œil du photographe Thomas Journot, de revivre l’inauguration d’un mode de transport qui a changé notre vi(ll)e en rose. Et ça fait quelque chose…
Par Alexis Cappellaro
Pour Dijon Beaune Mag #68
Photos : Thomas Journot, sauf mention contraire
Oh, déjà cinq ans ? » Nombreux sont les Dijonnais à s’étonner de l’ancienneté de ces rames cassis qui serpentent inlassablement la cité des ducs et ses proches banlieues. La nature est ainsi faite. Sans voir le temps qui passe, on s’habitue à tout. Pour ce joyeux anniversaire, il convient de poser un regard neuf sur cette spectaculaire réalisation qui a impulsé une profonde mutation de notre « mode de ville ».
D’abord pour se souvenir que le tramway en ville n’était en rien une nouveauté. Son histoire est séculaire. Il en existait dans toutes les grandes villes au début du siècle dernier. « Hippomobile » ou électrifié, il rivalisait, jusque dans les années 30, avec son cousin bien plus cher à développer et entretenir qu’est le métro. Disparu sous l’avènement des voitures et des bus, il est finalement revenu à la mode dans les années 2000 pour répondre aux nouveaux enjeux de la concentration démographique et de la congestion automobile.
Plat de spaghettis
Dans le même temps, François Rebsamen bâtit son programme autour d’un projet de réseau de tram. Élu, il décide de sa création lors d’un conseil communautaire, le 12 novembre 2008. Et formalise du même coup son imaginaire d’un Dijon nouveau, où tout l’enjeu est de fluidifier une agglomération de plus de 250 000 habitants, en plus de puissants effets de leviers immobilier et cadastral (lire encadré). Le pari est joli : vingt kilomètres de lignes en trente mois ! Des travaux herculéens nécessaires selon André Gervais, le regretté « Monsieur Tram » (1), qui expliquait en 2012 au site mobilicites.com : « Nous avions un bon réseau, mais vieillissant. Il était radioconcentrique, toutes les lignes passaient par le centre-ville. C’était un plat de spaghettis avec des lignes qui n’en finissaient plus. Dijon est une ville embouteillée, surtout aux heures de pointe. Sur les boulevards intérieurs nous pouvions avoir entre 20 000 et 25 000 voitures par jour. Pour un Parisien, ce n’est rien du tout, mais pour nous c’est énorme. »
Changer les habitudes
400 millions d’euros plus tard, Dijon se paie un nouveau destin. Inaugurée les premiers jours de septembre 2012, la ligne T1 est littéralement assaillie par des Dijonnais roses de plaisir et de curiosité, qui fêteront de la même manière la ligne T2 trois mois plus tard. Dans la foule, chacun sent un vent de nouveauté et se familiarise vite avec la bête ferrée. D’autres sont surtout soulagés, après deux ans de travaux parfois sources de migraines pour les automobilistes pressés…
Et aujourd’hui, cinq ans après ? 33 rames desservant 35 stations de 5h30 à 1h, pour quelque 94 000 voyages journaliers selon Keolis Dijon Mobilités, l’exploitant du nouveau réseau DiviaMobilités sur la métropole (2).
De quoi laisser entendre que les Dijonnais ont pris de nouveaux réflexes, petit à petit, tram après tram. Même s’ils sont encore quelques uns à pester en voiture, plantés à un feu de l’hypercentre en pensant « Y’en a que pour le tram ! ». Laurent Verschelde, le directeur de Keolis Dijon Mobilités, souhaite éviter ces frustrations et pose l’intermobilité comme notion refuge. Même si celle-ci reste encore à faire intégrer au plus grand nombre : « Il ne s’agit pas d’opposer les modes de déplacement ni les différents utilisateurs de la voie publique, note-t-il, mais plutôt de proposer des alternatives faciles à mettre en œuvre pour inciter les gens à changer leurs habitudes. Les automobilistes en particulier ne sont pas bannis de la ville, mais on essaie de leur faire comprendre que, pour aller assister à un match du DFCO par exemple, ils auront meilleur compte de se garer à un parking-relais avant de poursuivre en tram pour arriver à l’heure juste devant le stade. » Avis aux supporters…
Le club des 29
Plus symboliquement, le tram donne l’image d’une métropole dynamique où l’offre de transport est aussi qualitative que quantitative. Chacun l’a bien compris : à l’exception de Metz, Rennes et Toulon, 17 des 20 métropoles françaises ont adopté ce mode de transport (au total, 29 villes en sont pourvues). On a le droit de s’en réjouir : Dijon Métropole est l’une des leurs. Les quelque 300 000 visiteurs qui viennent chaque année poser leur main gauche sur la chouette en ont peut-être fait l’heureux constat, et c’est très bien comme ça.
Tout cela nous éloigne en tout cas des omnibus Ripert de 1888 et des vieux tramways. Nés en 1895, ces derniers avaient fêté leur tout dernier voyage dijonnais un jour de 1961. Oh, déjà cinquante-sept ans ?
(1) Disparu en juillet 2017, André Gervais fut adjoint au maire délégué à l’équipement urbain, à la circulation et aux déplacements. Affectueusement surnommé « Monsieur Tram », il a donné son nom au Centre d’exploitation et de maintenance situé au 49 rue des Ateliers.
(2) Pour la première fois en France, le transport public (bus/tram), le stationnement (parking en ouvrage, sur voirie et fourrière) et le vélo (libre-service et location longue durée) sont gérés par un seul et même opérateur : Keolis Dijon Mobilités.
Solidarité métropolitaine
C’est peu notoire et pourtant intéressant à bien des égards : le matériel roulant du tram a été acheté en commun avec Brest Métropole (qui a mis en service sa première ligne en juin 2012). Au total, 53 rames ont été commandées à Alstom par les deux agglomérations, dont 33 pour la ville de Dijon. Cet achat groupé « a permis d’obtenir des économies d’échelle de l’ordre de 25% », selon le Grand Dijon. Pas négligeable…
Bonnes affaires
Symbole d’un idéal de vie où les transports doux sont la norme, intégrant assez bien les préoccupations écologiques (2 000 nouveaux arbres plantés et 7 ha de pelouse semée), le tramway a aussi changé les règles de l’urbanisme. Sa naissance a en effet permis de construire davantage, sur une bande de 500 mètres le long de son tracé. Pour rentabiliser l’investissement, Dijon Métropole traque les terrains vides et remplit ses vilaines « dents creuses » via de nombreux écoquartiers (Arsenal, Hyacinthe-Vincent, Heudelet 26…). Ce qui commence à porter ses fruits : en cinq ans, l’agglomération a gagné 7 000 habitants selon les chiffres de 2015 fournis par l’INSEE. Cette réflexion accompagne aussi le centre-ville, dont certaines artères sont maintenant totalement piétonnes.
Pour les propriétaires, enfin, le tramway est une bonne affaire… Pour les candidats à la location ou à l’achat, il peut même constituer l’élément déclencheur, et on ne compte plus les annonces faisant état d’un bien situé « à x mètres du tram ».