Frêle et turbulent, le jeune pilote connut ensuite la victoire et Yvonne Printemps. Une vie incroyable, intense et romanesque, qui fait de Guynemer (que la BA102 célébrera une dernière fois la semaine prochaine), un as de légende au sein de l’aviation française. Jusqu’à ce jour de 1917, un 11 septembre, où il tombe en plein ciel de gloire. Récit.
Par Frédéric Lafarge, délégué au patrimoine historique de la BA102
Pour Bourgogne Magazine
Photos : archives du musée de la Base aérienne 102 (Dijon)
Georges Guynemer naquit le 24 décembre 1894 à Paris. En 1903, ses parents, qui demeuraient en Normandie, dans le petit village du Thuit (Eure), vendirent le château familial et s’installèrent dans l’Oise, à Compiègne.
Enfant, le jeune Georges ne fut jamais en bonne santé et il fallut que son père, ancien officier issu de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, luttât pour que son fils unique (troisième et dernier enfant, après deux filles), choyé parce que fragile de constitution, « devînt un homme ». Élève doué mais dissipé et turbulent, il fut successivement instruit à domicile par une préceptrice, scolarisé au lycée de Compiègne puis envoyé à Paris pour y étudier au collège Stanislas, où il obtint son baccalauréat en 1912, avant d’y préparer le concours d’entrée à l’École polytechnique et d’en être exclu en 1913 pour avoir giflé l’un de ses professeurs.
Premier vol en mars 1915
La santé médiocre du jeune homme l’empêcha cependant de s’adonner pleinement à ses études et força même la famille Guynemer à se retirer sur la côte atlantique, à Anglet, station balnéaire des Basses-Pyrénées, où elle se trouvait début août 1914, lorsque la guerre éclata. Ayant bénéficié d’une éducation traditionnelle et revancharde, le jeune Georges voulut aussitôt s’engager dans l’armée; mais les commissions médicales l’en empêchèrent pour « faiblesse de constitution » (il ne pesait alors qu’une cinquantaine de kilos pour 1,73 m), et ce, à plusieurs reprises, en dépit des relations de son père.
C’est par l’école d’aviation militaire de Pau –qu’il intégra le 21 novembre « au titre du service auxiliaire comme élève mécanicien d’avion » grâce à la bienveillance de son commandant, le capitaine Alphonse Bernard-Thierry– que Georges Guynemer, fasciné depuis l’enfance par l’aviation, parvint à intégrer l’armée, plus précisément la jeune aéronautique militaire. « Je suis soldat. J’espère aller dans les deux mois au feu… » Soutenu par le commandant de l’école, le jeune engagé volontaire « pour la durée de la guerre », simple 2e classe cantonné à exécuter diverses corvées dans les hangars de l’école, rédigea le 23 décembre une demande adressée au ministre de la Guerre pour devenir élève pilote: « J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir m’admettre dans le personnel navigant comme élève pilote. J’ai déjà exécuté des vols comme passager. » L’armée y répondit favorablement un mois plus tard et Georges Guynemer vola pour la première fois début mars 1915. Le 25 mars, il intégra l’école de pilotage du camp d’Avord (Cher) et, le 26 avril, il fut breveté pilote militaire. « Il était très nerveux, très excité. Seulement il aimait ça, il ne jurait que par l’aviation, c’était un mordu! », raconte l’as de guerre Paul Tarascon, son instructeur à Pau.
Première victoire en juillet 1916
Après un éphémère séjour au sein de la réserve générale d’aéronautique du Bourget (Seine) pour s’y entraîner sur avion d’arme, Georges Guynemer fut affecté le 9 juin sur le front de la VIe armée, dans l’Oise, au sein de l’escadrille dans laquelle il servit jusqu’à sa mort: la MS 3, que commandait le capitaine Antonin Brocard. Une unité alors stationnée à Vauciennes (vers Compiègne), qui, grâce à des pilotes tels que Jules Védrines, Alfred Heurtaux, Mathieu Tenant de la Tour, René Dorme ou Albert Deullin, se couvrit de gloire, jusqu’à devenir la plus glorieuse des ailes françaises de 14-18. « Le gosse de 20 ans était chic, très chic, d’une mise élégante, même recherchée, qui, je l’avoue, produisit sur moi un effet désastreux », racontait l’adjudant Jules Védrines, qui l’accueillit à son arrivée. L’as des missions spéciales le prit pourtant sous son aile et, décelant sous la timidité de son protégé l’ardeur et l’enthousiasme d’un guerrier, il ne ménagea pas ses efforts pour que ce jeune pilote, qui « cassa du bois » à ses débuts –et frôla le renvoi– perfectionnât son pilotage.
Au gré de la modernisation de son parc, la MS 3 devint successivement l’escadrille N 3 (N comme la marque d’avion Nieuport), puis la redoutable SPA 3 (en référence aux avions de la marque Spad), dite « des Cigognes » en raison du symbole peint à partir de juin 1916 sur le fuselage de ses avions: une « cigogne d’Alsace passant au naturel, aux ailes basses en fin de battement ». Georges Guynemer vola dès le 13 juin, réalisant une mission d’observation. Deux jours après, au cours d’une mission similaire, il essuya des tirs d’obus antiaériens et revint au terrain avec une aile trouée. « Aucune impression, si ce n’est de curiosité satisfaite », écrit le soir même le jeune homme tout juste confronté à la réalité de la guerre.
Un mois plus tard, le 19 juillet, aux commandes d’un Morane-Saulnier « Parasol » armé d’une mitrailleuse Lewis montée sur affût mobile, il remporte sa première victoire contre un Aviatik, biplan que Charles Guerder, l’observateur qui manœuvrait la mitrailleuse du biplace, abattit presque à bout portant et envoya s’écraser dans les lignes ennemies au sud de Soissons (Aisne). Cette victoire vaut alors à celui qu’on surnomme affectueusement « le gosse », voire « le môme fil de fer », l’attribution de la médaille militaire et le respect de ses camarades pilotes. « Il me semble qu’au début ils le prenaient pour un jeunot, un “blanc-bec” sans expérience. Il paraissait si jeune et si frêle! Il avait l’air malade. Mais dès qu’il a abattu son premier avion allemand […] on a commencé à mieux le considérer », rapporte une habitante de Vauciennes.
La légion d’honneur à 21 ans
Ses succès, Georges Guynemer –qui préfère le combat en vol normal à l’acrobatie– les remporte en s’approchant au plus près de l’ennemi pour l’abattre d’une courte rafale, méthode efficace mais risquée, car elle expose au tir défensif du mitrailleur arrière de l’avion pourchassé. À de nombreuses occasions, cela vaut à l’intrépide pilote de revenir à son terrain aux commandes d’un appareil fortement endommagé. Après avoir abattu trois autres appareils ennemis dans la région de Noyon, la croix de chevalier de la Légion d’honneur lui est attribuée le 24 décembre, jour de ses 21 ans. Puis les victoires se succèdent: trois dans la journée du 3 février 1916, un biplan tombé en flammes le surlendemain, un autre avion abattu le 8 février… Le nom du jeune aviateur, devenu as de guerre après cinq victoires homologuées, vint à être régulièrement cité dans les communiqués du grand quartier général. Le 12 mars, Georges Guynemer, devenu officier huit jours plus tôt (après avoir été nommé sous-lieutenant à titre temporaire), dut toutefois quitter le secteur tenu par la VIe armée et le terrain de Breuil-le-Sec, retenu qu’il fut pour être détaché avec les meilleurs pilotes de son escadrille pour prendre part à la bataille de Verdun, où il abattit aussitôt un avion. Au moment de ce transfert, l’aviateur totalisait déjà huit victoires officielles; il s’était en outre illustré en exécutant, durant l’automne 1915, deux missions spéciales « importantes, difficiles et particulièrement périlleuses », consistant à déposer un espion à l’arrière des lignes ennemies.
Cependant, le lendemain de son arrivée sur les bords de la Meuse, l’as côtoya la mort. En combat, il fut grièvement blessé, recevant deux balles dans le bras gauche et un fragment de métal du pare-brise de son chasseur dans la mâchoire; il fut aussi victime de plusieurs contusions au visage et au cuir chevelu. « Guynemer a attaqué un boche et l’arrosait copieusement, suivant sa méthode habituelle. Un autre boche, distant de 200 mètres, est venu à la rescousse, et a tiré en oblique la bande dont vous savez le résultat », explique une lettre du 13 mars 1916 adressée par l’aviateur Albert Deullin au père de Guynemer. Le jeune officier, évacué vers Paris, fut soigné à la mission médicale japonaise installée dans l’hôtel Astoria, sur les Champs-Élysées. C’est peu après que Georges Guynemer, qui avait ses habitudes à l’hôtel Édouard VII (avenue de l’Opéra) lors de ses séjours parisiens, fit la connaissance de l’actrice Yvonne Printemps, avec qui il entretint une liaison amoureuse jusqu’à sa mort.
Mort au combat à 23 ans
À la mi-juillet 1917, après avoir été engagée dans l’offensive Nivelle, dite « du Chemin des Dames », la SPA 3 fit une nouvelle fois mouvement et s’installa dans les Flandres, front sur lequel « le meilleur et le plus audacieux des pilotes de combat français », selon son chef de bataillon, s’illustra tout particulièrement, devenant grâce à la presse –dont il était l’enfant chéri– le plus illustre des aviateurs de la chasse française. « Descendu » à plusieurs reprises, l’as est surmené, presque à bout de forces, ne tenant plus que par les nerfs. Le 28 août, au vicaire de l’église Saint-Pierre-de-Chaillot à Paris, le jeune officier confie: « C’est fatal, je ne m’en sortirai pas… »
Quelques jours après que lui a été confié le commandement de son escadrille, en remplacement du capitaine Alfred Heurtaux, grièvement blessé à la jambe en combat aérien le 3 septembre, Georges Guynemer disparaît, tué ce 11 septembre 1917, vers 9 h 30, d’une balle dans la tête, près de Poelcapelle (Belgique). Il avait décollé une heure plus tôt aux commandes d’un Spad XIII du terrain de Saint-Pol-sur-Mer, près de Dunkerque (Nord). Son biplan s’écrasa dans le no man’s land, où sa dépouille fut formellement identifiée par un soldat allemand grâce à la photographie figurant sur le brevet de pilote de l’as de guerre trouvé dans son portefeuille. Le chef de bataillon Antonin Brocard rapporte: « Il m’avait juré quelques jours auparavant que les Allemands ne l’auraient pas vivant. Guynemer n’a été qu’une idée puissante dans un corps aussi frêle et j’ai vécu auprès de lui avec la douleur secrète de savoir qu’un jour l’idée tuerait l’enveloppe. »
Crédité au jour de sa disparition de 53 victoires homologuées (dont 8 doublés, un triplé et un quadruplé) et de 29 probables, Georges Guynemer figurait à la première place du palmarès des as français, ce qui lui valait le titre envié d’as des as. Au moment où il s’envolait pour sa mission fatale, il totalisait 665 heures et 55 minutes de vol. Tandis que s’approche la célébration du centenaire de la disparition du plus célèbre des as de guerre, Georges Guynemer demeure un exemple vivant pour tous les aviateurs de l’Armée de l’air, qui n’oublient pas le patriote inconditionnel que fut cette figure de l’aviation militaire et honorent toujours sa mémoire.
Une semaine sous le signe de Guynemer
La base aérienne 102 de Dijon, entrée en service au printemps 1914, sera dissoute cet été. Sous réserve de la confirmation de l’état-major de l’Armée de l’air, la date envisagée pour la fermeture officielle de la base est le 30 juin. En attendant ce jour funeste, la base organise une toute dernière manifestation publique autour de son parrain Georges Guynemer. Cette « Semaine Guyneme »» (du 9 au 14 mai) aura pour point d’orgue la cérémonie militaire du vendredi 13 mai 2016, au pied du monument dédié à l’aviateur, 100 ans jour pour jour après sa venue sur le terrain d’aviation d’Ouges-Longvic. Cette semaine comprendra en outre diverses manifestations publiques : une conférence à Ouges (avec l’auteur de la biographie de Guynemer, à paraître aux éditions Fayard en 2017), une exposition aux Archives départementales de la Côte-d’Or (durant 6 semaines), un concert de la Musique de l’air à Dijon, une rencontre philatélique à Longvic, etc.
Une stèle chère aux aviateurs dijonnais : le monument commémoratif de la remise au capitaine Guynemer du premier drapeau de l’Aviation, érigé sur la base aérienne 102 en 1932 à l’initiative du colonel Gaston Ludman, commandant du 32e régiment d’aviation mixte de Dijon, et inauguré le 25 juillet de la même année, en présence de la mère et de la sœur de l’as. En façade de ce monument ayant miraculeusement échappé aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale, un très beau bronze montrant l’aviateur de profil, œuvre de l’artiste dijonnais Yencesse (notre vignette).