En parallèle de l’exposition « Quand la musique électro fait danser Dijon » conçue par les Archives municipales de Dijon et l’association Risk, sort Dijon Electronic Story, de l’An-Fer à aujourd’hui, un livre très documenté signé Martial Ratel. À travers une soixantaine de témoignages, le journaliste de Radio Dijon Campus y retrace 30 ans d’électro dans cette bonne vieille cité des ducs, du mythique club de l’An-Fer à l’actuel Sirk Festival.
Le projet est né de la découverte, dans un dossier d’autorisation d’urbanisme conservé par les Archives municipales, de photographies de L’An-Fer, club pionnier en matière de musique électronique. Afin de préserver la mémoire de cette histoire au sein des fonds et collections publiques, le service a organisé durant deux années une collecte d’archives qui a permis de réunir de nombreux documents papier (photos, affiches, flyers, programmes…), mais aussi sonores, en l’occurrence une trentaine de témoignages d’acteurs clés de la scène électronique dijonnaise commandés au journaliste de Radio Dijon Campus, Martial Ratel.
Au berceau de l’électro
Sachant que le mouvement électro dijonnais vit encore, Martial souhaite dérouler la pelote jusqu’à nos jours et se lance dans un ambitieux projet de livre retraçant tout l’histoire de la scène électro dijonnaise, de l’An-Fer (1990-2002) à nos jours. Aux témoignages commandés par les Archives municipales, il en ajoute d’autres, réalisant ainsi entre 2022 et 2024 une centaine d’entretiens avec des DJ célèbres (Laurent Garnier, Vitalic) et moins célèbres, des fêtards de la première heure, des employés de l’An-Fer ou encore des activistes actuels (Konik, P’tit Luc, Païkan). Autant de matière première dont les extraits courts, rassemblés par thème, constituent la chair du livre, picorable à l’envi.
Arrivé à Dijon en 1995, l’étudiant Martial Martel attrape lui aussi la fièvre électro qui se répand alors : « À cette époque, j’étais plutôt branché punk rock, et je n’avais aucune envie d’aller m’enfermer en boite pour danser. J’ai découvert l’An-Fer en allant y voir des concerts d’abord, avant d’assister à un set de Dima, un obscur producteur local devenu depuis Vitalic, une figure tutélaire de l’électro française. C’était le début d’une vague de fond, et sur le campus universitaire, beaucoup de mes potes musiciens troquaient leur guitare contre des platines. » Dans la petite ville bourgeoise étriquée qu’était Dijon sous l’ère Robert Poujade, alors que l’électro passe pour une musique de dégénérés et de drogués, « l’An-Fer c’est les autres » comme aurait dit Jean-Paul Sartre. Une « boite de PD » pour les clients des discothèques classiques peu habituée aux drag-queens, un « lieu disco peu fréquentable » aux yeux des amateurs de rock. « Je suis rentré à l’An-Fer la première fois parce que je pensais que c’était une soirée New Wave, alors que c’était une New Age. Laurent Garnier était derrière les platines, je découvre cette musique et j’en deviens fan immédiatement », confie dans le livre Lionel Fourré, devenu par la suite le programmateur du club. Comme quelques centaines de happy few, il va vivre au rythme de la house et de la techno les folles soirées interlopes de l’An-Fer, un des deux temples primitifs de la musique électronique en France avec le Rex-Club à Paris.
Laurent Garnier une fois par mois
Rien de tout cela n’aurait été possible sans la volonté d’un homme, Fred Dumélie, et de son frère Franck, qui décident en 1989 de transformer la discothèque familiale classique, Le Byblos, en un club électro avant-gardiste : « On a tout pété et on a changé le nom. On a décrété que l’année 1989 était l’année du fer : l’An-Fer. On a mis de la dalle métro au sol, ce qui était super révolutionnaire. On a mis du fer partout, on a refait le bar », explique Fred dans le chapitre qui lui est consacré. Véritable précurseur, le jeune homme avait du nez et a bien senti l’énorme potentiel de ce nouveau genre de musique, qu’il a réussi à imposer en faisant preuve de persévérance : « La boite était pleine d’étudiants, on gagnait bien notre vie à cette époque […] On s’est dit : “On va faire Laurent Garnier une fois par mois. On va déclarer que c’est une soirée électro, point. Qu’on gagne de l’argent ou qu’on en perde.” » La suite, on la connait. À partir de 1992 Laurent Garnier explose et, dans son sillage, entraine à Dijon les plus grands noms de la scène électro internationale…
L’après An-Fer
Admirablement mis en page et illustré par Selma et Salem, la maison d’édition de Pierre-Olivier Bobo, l’ouvrage ne se limite pas à l’aventure de l’An-Fer. Il donne aussi à comprendre la culture électro dans laquelle baignait les premiers teuffeurs dijonnais de ce genre musical encore underground : création vestimentaire, disquaires, médias, arts graphiques, free-parties…
Une seconde partie traite des nombreux lieux qui ont pris, plus ou moins temporairement, la suite de l’An-Fer après sa fermeture en 2002, comme le club Le Rio avenue Foch, l’Espace Grévin dans les sous-sols de la tour Mercure ou encore L’Usine, devenue Le Consortium. Pour finir, le livre dresse un état des lieux pour savoir comment se porte le mouvement à Dijon aujourd’hui, alors que la musique électro est passée au rayon mainstream. Avec une mention spéciale pour l’association Risk qui continue à faire vivre la scène électro dijonnaise, et pour la féminisation des DJ, notamment à travers le projet « Blonde platine ». Enfin, pour prolonger l’expérience de lecture en musique, une playlist des témoins vous attend en QR codes sur les dernières pages du livre…
Alors, Dijon electronic city ? « Aujourd’hui, la ville n’est peut-être pas plus électro qu’une autre, mais elle l’est sans discontinuité depuis plus de 30 ans, ce qui est unique. Même s’il manque un club électro spécialisé comme l’An-Fer l’était, on a toujours eu un public, des artistes originaux et des lieux pour accueillir », conclut Martial Ratel.
👉 Du 4 avril au 24 juin 2024 au musée de la Vie bourguignonne – Dijon Electronic Story, de l’An-Fer à aujourd’hui, par Martial Ratel, Selma & Salem Éditions, 272 pages, 20 euros. En vente sur selmaetsalem.fr et en librairie courant avril. Certains entretiens disponibles en version audio sur lapieuvre-podcast.fr