Une grande exposition sur Brillat-Savarin au château du Clos de Vougeot

Le château du Clos de Vougeot inaugurera, début avril, une grande exposition sur la vie et l’œuvre de Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826). Le père de la gastronomie dans le temple des vins de Bourgogne et de l’œuf en meurette ? Rien de plus naturel pour Arnaud Orsel, à l’initiative de cette copieuse proposition. Tant de choses sont à découvrir au fond de la cocotte…

Attention, solide ! Arnaud Orsel tient fermement l’ancêtre de la cocotte-minute, un beau bébé en fonte datant d’avant 1800 et ayant appartenu à Brillat-Savarin. ©Jean-Luc Petit/DBM

Elle pèse son poids. Cette cocotte en fonte du XVIIIe siècle, remarquablement conservée, rappelle que Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826), sans lui attribuer la pleine paternité, fut l’un des concepteurs de la cuisson rapide sous pression, bien avant une certaine société d’emboutissage de Bourgogne (lire encadré en fin d’article)

Exceptionnelle, cette relique intégrera une riche exposition sur le père de la gastronomie française, au château du Clos de Vougeot, à partir du 4 avril et pour deux années. Soit le moyen de couvrir un triple anniversaire sur les millésimes 2025 et 2026 : les 270 ans de la naissance de Brillat-Savarin, le bicentenaire de sa Physiologie du goût (1825), ouvrage quasi posthume et décisif dans l’histoire de la culture gastronomique française, et enfin les 200 ans de la mort du génie gastronome.

« Incroyablement vivant ! » 

Arnaud Orsel n’aurait jamais manqué cet alignement des astres. En mobilisant les équipes du château pour honorer la vie et l’héritage du brillant Brillat, l’intendant général de la confrérie des Chevaliers du Tastevin défend les couleurs du temple de l’art de vivre en Bourgogne. La gastronomie passionne véritablement ce gone ayant grandi entre la chère lyonnaise et les crus fleuris du Beaujolais. Dans l’intimité du foyer, un piano Lacanche, acheté à crédit avec son premier salaire, accompagne depuis (et pour) toujours cet as du coq au chambertin. Recette tenue secrète ! 

Le souvenir encore chaud d’une exposition sur l’histoire de la gastronomie à la Conciergerie de Paris lui a donné envie de réhabiliter l’image de Brillat-Savarin, avocat-gourmet et théoricien des bonnes choses, dont il loue la diversité des talents : « On imagine un magistrat formel, c’est en fait homme d’esprit extraordinaire, maire de son village du Bugey, député, prof de violon à New York ayant été impliqué dans les premiers spectacles de Broadway, parlant cinq langues, auteur de nouvelles érotiques bien que gourmet avéré… et son livre est incroyablement vivant ! » Cette histoire dépasse donc, de loin, le simple coup de fourchette.

Le roi des gastronomes est représenté ci-contre à travers son seul portrait connu, dessiné lors de son arrivée aux États généraux en 1789 par Laurent Delincourt.

Pérégrinations du Bugey  

Pour porter notre cocotte aux yeux des Bourguignons, Arnaud Orsel a marché avec appétit sur les traces mises au jour par Jean-Robert Pitte. L’érudit géographe, auteur de la biographie de référence Brillat-Savarin, le gastronome transcendant (2024), s’est naturellement mué en commissaire de l’expo vougeotine.

Les pérégrinations allaient de Belley (Ain), petite capitale du Bugey ayant vu naître Jean Anthelme, à sa gentilhommière familiale plus au nord, dans le bourg jadis nommé Vieu-en-Valromey. C’est ici que repose habituellement, sous la protection aimante de la famille Perrin, la fameuse cocotte en fonte. Dans le jardin, une étonnante trouée formait une glacière naturelle voûtée de pierres, où l’ingénieux gastronome avait habilement détourné un bief pour stocker ses denrées au frais en toute saison. Gourmand et rusé, l’ami Jean Anthelme.

Arnaud, lui, est revenu repu de ces découvertes. Grâce au travail méticuleux de l’archiviste maison Margot Cigan, partie à la chasse entre la Côte-d’Or (Brillat a étudié à Dijon) et l’Ain, « mais aussi dans des archives privées à la quête de pépites », l’expo aura fière allure entre documents inédits et reproductions de « cènes » d’époque, tout en « cuisinant » quelques génies contemporains comme Grimod de La Reynière, père de la critique gastronomique, ou même Balzac, grand admirateur du gastronome. « Nous allons reproduire la cuisine de Brillat-Savarin dans nos cuisines Renaissance, quelques lièvres et faisans seront sur la tablée », annonce l’intendant général, salivant encore sur ce four à pâté conçu par Brillat-Savarin.

Le matelas de la belle Aurore !

Le papa de la gastronomie a un carnet de recettes bien fourni. Pour honorer sa mémoire toute l’année, le château du Clos de Vougeot se fera un plaisir de piocher parmi : les quenelles de brochet sauce Nantua, les grasses poulardes de Bresse, les salmis de bécasses, l’omble chevalier du lac du Bourget à l’ancienne, le filet de bœuf clouté de truffes noires, le gâteau de foies blonds de poulardes de Bresse… n’en jetez plus ! 

Au panthéon du roi des gastronomes, on retrouve évidemment l’oreiller de la belle Aurore, message d’amour adressé par le cuisinier de Brillat-Savarin à la mère de ce dernier, Claudine Aurore Récamier. Ce monument des pâtés, giboyeux à souhaits, d’une complexité et d’une richesse inouïes, compte quelques grands spécialistes bourguignons à l’image du chef beaunois Christophe Quéant (16 viandes dans sa recette !) ou du MOF charcutier Fabien Pairon. L’oreiller a même sa confrérie, fondée par le restaurateur parisien Mathieu Buchet et présidée par la vigneronne de Mercurey, Aurore Monot-Devillard. « J’imagine bien une version de l’oreiller pour plusieurs centaines de convives, façon matelas de la belle Aurore », rêve Arnaud Orsel, qui va naturellement ajouter au menu une spécialité fromagère (on avait failli l’oublier !), ce délicieux triple-crème  – 72% de matière grasse –, devenu IGP en 2017. L’occasion de préciser que c’est à la célèbre maison parisienne Androuet, repreneur du mythique excelsior, que Brillat-Savarin doit l’association de son patronyme à ce petit bonheur lacté dans les années 1930.

Chapitre hommage

Le château du Clos de Vougeot a donc une matière sans fin (ni faim) pour bâtir une exposition mémorable. Il peut légitimement faire siens les nombreux aphorismes du gastronome. « La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent », énonçait par exemple Brillat-Savarin, faisant allusion à l’art de la diplomatie à table. La confrérie des Chevaliers du Tastevin en apportera une nouvelle démonstration éclatante le samedi 8 novembre, avec un chapitre dédié au bon maître.

Héroïne discrète des cuisines vougeotines, Alexandra Bouvret accueille ces deux années d’expositions comme un nouveau challenge à relever. Avec sa valeureuse brigade, la chef du château n’a pas son pareil pour sublimer ces grands moments « soupatoires », pour reprendre une expression typiquement savarinesque. Avec un chiffre de taille, estimé à la louche : entre la bonne quinzaine de chapitres du Tastevin, les événements privés et le restaurant de la Table de Léonce aux beaux jours, sans compter un championnat du monde (7e édition les 10, 11 et 12 octobre) désormais culte, le château du Clos de Vougeot servirait plus de 40 000 œufs en meurette par an. Et parfaitement pochés s’il vous plait. Ça aussi, ça pèse son poids !

Brillat-Savarin, papa de la cocotte-minute ? 

En unissant hermétiquement la cocotte et son couvercle avec une pâte à luter, à la façon du fameux baeckeoffe alsacien, Brillat-Savarin a posé les bases de la cuisson rapide à la vapeur sous pression bien avant De Dietrich et son brevet déposé en 1898 ou la cocotte-minute de Seb à Selongey en 1953. Dans Physiologie du goût (1825), le gastronome théorise les vertus de cette cuisson en ces termes : « Ceux qui connaissent la nature et les effets de la vapeur savent qu’elle égale en température le liquide qu’elle abandonne ; qu’elle peut même s’élever de quelques degrés par une légère concentration, tant qu’elle ne trouve pas d’issue… et tout cela serait cuit avec six fois moins de temps et six fois moins de bois qu’il n’en faudrait pour mettre seulement en ébullition une chaudière de la contenance d’un hectolitre. » CQFD !