De 1945 à 1967, le truculent chanoine Kir a promené sa soutane au palais Bourbon en tant que député de l’Assemblée nationale. Le maire de Dijon en fut même le doyen, ouvrant la toute première séance de la Ve République. Flashback.
Le député Felix Kir dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, en soutane comme à son habitude. Il sera le dernier à le faire, le règlement interdisant depuis 2018 le port de signes religieux ostensibles dans l’hémicycle. © Capture INA
La France vient de constituer sa nouvelle assemblée nationale. Mais en remontant un peu dans le temps, on peut aussi prendre un peu de hauteur, voire approcher les voies impénétrables du seigneur, pour comprendre à quel point ces législatives peuvent avoir un écho entre le destin d’un État et les attentes d’un territoire.
Le député, appelé à discuter et à voter les lois les plus importantes, reste avant tout le représentant de sa région. Et parmi tous les députés qui ont jalonné la région dijonnaise, il en est un qui, au-dessus de tous les autres, a défrayé la chronique : Félix Kir (1876-1968).
Homme de foi, le chanoine Kir ne se défaisait jamais de sa soutane. Homme du foie, il a laissé son nom à un apéritif de réputation mondiale. Homme de conviction, ce natif d’Alise-Sainte-Reine aurait très bien pu combattre au côté de Vercingétorix. Son époque l’a entrainé à des faits d’armes d’une tout autre nature. Notamment en juin 1940, lorsqu’il permet à 5000 prisonniers de guerre français de s’évader du camp de la base aérienne de Longvic, en prétextant des réquisitions pour le compte de la mairie.
Gérer la « maison France »
Kir sera ensuite le charismatique maire de Dijon, de 1945 jusqu’à sa mort en 1968. Il sera aussi et peut-être surtout un député CNI (aujourd’hui Centre National des Indépendants et Paysans) de l’Assemblée nationale de 1945 à 1967. Et même, pendant neuf ans, le doyen de cette assemblée. Le 9 décembre 1958, lui reviendra ainsi de présider la première séance de la Ve république, salué chaleureusement par le général de Gaulle, président du conseil.
Dans une allocation truffée de bons mots dont il a le secret, il dira notamment ceci : « Au lendemain des journées de fièvre et d’orage, comme il serait souhaitable de laisser au dehors tout esprit partisan, et, quelle que soit l’étiquette sous laquelle nous avons été élus, de ne retenir qu’une consigne, qu’un programme : se dévouer afin de gérer intelligemment et consciencieusement les intérêts de la maison France. ».
Solides gueuletons
Jacques Chaban-Delmas, président de l’Assemblée pendant six législatures, connaissait bien le personnage. Il raconte qu’en tant que doyen, le chanoine assurait l’intérim de la présidence de l’Assemblée. « Pour lui faire plaisir, nous lui laissions l’entière disposition de l’hôtel de Lassay. Il en profitait pour y organiser de solides gueuletons […]. Avec sa couronne de cheveux blancs, sa mine vermeille, son air rieur et sa soutane qui s’arrêtait aux genoux – une soutane de course, disait-il -, c’était une figure. »
L’histoire retiendra beaucoup ses frasques et quelques envolées verbales dont Audiard aurait pu revendiquer la paternité. Dont une réplique lancée à la face (je n’ai pas dit pas la fesse) d’un député communiste qui l’invectivait sur sa foi, refusant qu’on pût croire en Dieu sans jamais l’avoir vu : « Et mon c… tu l’as pas vu, et pourtant il existe ! » Cette fulgurance ne fut pas la seule dans le genre, comme en témoigne cette autre déclaration tenue sur les bancs de l’assemblée : « Mes chers confrères, on m’accuse de retourner ma veste, et pourtant, voyez, elle est noire des deux côtés. »
Reçu au Kremlin
On reproche alors à Kir d’avoir fréquenté avec assiduité le premier secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique, Nikita Khrouchtchev. De cette amitié « double K » naîtra même, sans consulter le conseil municipal, un jumelage entre Dijon et la ville de Stalingrad (aujourd’hui Volgograd). Et d’autres situations embarrassantes. Il faut dire qu’au début des années 1960, cette démarche n’a rien de catholique. C’est pourtant avec les honneurs et en grandes pompes que le chanoine Kir sera reçu au Kremlin en 1964. Cela lui vaudra, grâce au retrait d’un candidat communiste, de conserver son poste de député, lui le CNI, face à un Gaulliste en 1962.
Après sa disparition, le 25 avril 1968, des suites d’une chute dans les escaliers, son adjoint le docteur Jean Veillet assure l’intérim à la mairie de Dijon. En 1971, ce dernier laisse place à un jeune député très prometteur, Robert Poujade. Mais ça, c’est déjà une autre histoire.