Un chef d’entreprise préfèrerait ne jamais avoir à croiser leur route. Mandataires et administrateurs judiciaires sont pourtant des piliers régulateurs d’un écosystème, souvent avec plus de finesse qu’on ne l’imagine. À Dijon, Véronique Thiébaut en a fait un sacerdoce.
D’abord ne pas confondre. La mission première des mandataires et administrateurs judiciaires est d’assister ou surveiller une entreprise en difficulté, dans le cadre d’un redressement. À ceci près qu’un administrateur aura, comme son nom l’indique, un accompagnement beaucoup plus direct, au jour le jour, agissant comme un tuteur passé le cap des 20 salariés et 3 millions de chiffre d’affaires. Basant son action sur la prévention, il s’appuie alors sur un réseau de prescripteurs (avocats, experts comptables…), notamment dans la perspective d’une recherche de repreneur.
L’interprofession demeure en tout cas une observatrice privilégiée mais secrète de tout un écosystème. Elle assiste l’entreprise malade « sur une période de poursuite d’activité de 12 mois, voire 18 sur une activité ultra saisonnière, ce qui est long et court à la fois. » Si l’on ne peut constater le « retournement » de l’entreprise, autrement dit si cette mission échoue, la liquidation est l’issue programmée de la procédure. Pour les autres, un plan sur dix ans est établi et il faut s’y tenir. À Dijon, quatre études gèrent environ 500 dossiers en temps normal. Véronique Thiébaut est à la tête de l’une d’elles.
Indépendance et impartialité
Millésime 66, cette Chalonnaise s’est très vite passionnée de droit du travail et des sociétés, « deux matières hyper vivantes », dans le sillage de son mentor, l’éminent professeur Michel Germain. « Puis j’ai fait de l’alternance sans le savoir, en allant volontairement un jour par semaine chez un mandataire à Dijon », retrace celle qui deviendra associée de l’étude jusqu’à en prendre la responsabilité. Aujourd’hui, Véronique Thiébaut œuvre avec 9 collaborateurs répartis entre Dijon et Auxerre. Son ancienneté, depuis 1998, l’autorise non sans humour à se décerner la palme de « la plus vieille de la boutique ». Elle nourrit paradoxalement « très peu de contacts dans le champ économique ou judiciaire », étant « farouchement attachée à mon indépendance et à l’impartialité de la profession ».
Ce métier de niche ne s’apprend pas à l’école. Il se découvre hors des sentiers battus, au gré d’un tronc commun de juriste. Maitre Thiébaut ne relâche pas ses efforts sur le terrain de la formation, alors qu’elle voit arriver des générations entières d’avocats fiscalistes ou issus du droit des affaires internationales. Mandataire ne manque pourtant pas de richesses technique et humaine, au carrefour de « beaucoup de métiers différents en fonction de la nature de l’entreprise que l’on accompagne. Notre priorité étant l’emploi, la conjonction dirigeant-salarié nous intéresse. Il arrive que l’un des deux morceaux du binôme ne fonctionne pas. On a déjà vu des entreprises en redressement que l’on tentait de sauver, mais avec des salariés qui demandaient à ce que ça s’arrête… »
« Ce n’est pas votre procès ! »
Chaque dossier a donc sa propre vérité, sa propre complexité. En outre, les émoluments des mandataires judiciaires font peu cas de ces particularités. Tous sont logés à la même enseigne, avec une procédure collective fixant un « corridor tarifaire ». Maitre Thiebaut est elle-même cheffe d’entreprise, confrontée à un besoin de fond de roulement très particulier, car la survie de l’activité est conditionnée à un volume de dossiers à différents stades de maturité. On ne se paye qu’à la toute fin d’un dossier.
La rémunération est parfois ailleurs. « Nous existons pour aider et dans certains cas sanctionner des dérives. Il faut une empathie bien dosée et une capacité d’écoute, car nous sommes confrontés à un public qui ne nous a pas choisi. De plus, la vie de l’entreprise croise bien souvent la vie privée… »
Voilà déjà de quoi trancher avec la perception du métier. Véronique Thiébaut n’est pas naïve sur les réputations des uns et des autres. Mandataires et administrateurs sont parfois vus comme des empêcheurs de tourner en rond. La peur des procédures n’a rien de nouveau. « Je reçois des dirigeants qui me demandent si je compte les aider. Ce à quoi je réponds que le tribunal n’est pas un lieu de procès, il n’y a pas d’adversaire. »
Le cycle naturel
Il faut aussi lever un tas d’autres idées reçues chez les dirigeants. « Leur première inquiétude est souvent dirigée vers les fournisseurs. Si le paiement comptant sera le plus souvent la règle, tout le monde a besoin de tout le monde. En réalité, c’est souvent le rapport à la clientèle, où il peut exister une perte de confiance, qui peut être altéré. Mais même sur ce point, des progrès ont été faits, notamment sur le plan bancaire, avec des agences dédiées moins discriminantes, spécialisées sur ce marché ».
L’experte se refuse au catastrophisme ambiant. En 2023, le greffe a enregistré 348 ouvertures de redressement judiciaire (voir encadré ci-dessous), à peine plus que la valeur référentielle de 2019. « Les statistiques ont toujours été sinusoïdales, calquées sur des cycles économiques de sept ans. Depuis 2020, le Covid a stoppé cette courbe. En 2021, on recensait à peine 27 000 procédures collectives au niveau national contre 50 000 habituellement », analyse-t-elle, préférant voir dans cette période « le retour à un cycle économique naturel des entreprises : certaines se créent, vont bien, sont malades ou meurent », même si, il est vrai, la crise sanitaire fut un exhausteur des fragilités déjà existantes, couvertes par les PGE. Ces prêts sur six ans, bien utiles en temps de crise, sont toujours des bombes à retardement chez certains. Et la patience de l’Urssaf n’a qu’un temps, « elle se met à réassigner, nous voyons arriver les dossiers ».
Face à la menace, un chef d’entreprise, homme ou femme, devra nécessairement se distinguer par « une grande prise de recul, en sachant se situer dans l’équation ». Et de finir par donner une définition bien à elle de la résilience : « Apprivoiser le passé pour avoir un futur. »
Le tribunal de commerce de Dijon en chiffres clés*
348 ouvertures de dossiers de redressements judiciaires en 2023 contre 256 en 2022.
4 sauvegardes actées / 3
107 redressements / 60
212 liquidations judiciaires (dont 127 en procédure simplifiée) / 181 (dont 112)
23 ouvertures de liquidations judiciaires suite à une résolution de plan de redressement (cessation des paiements en cours d’exécution dudit plan) / 12
Soit une hausse globale de 35 %, « mais il y avait eu une baisse de 33 % en 2020 et 11 % en 2021, qui est le point le plus bas avec 175 procédures collectives ouvertes. Il faut donc se méfier des chiffres annoncés sans référentiel. Le référentiel était 2019 (avant Covid) et il y a eu 294 procédures collectives ouvertes. » Par ailleurs, les liquidations judiciaires simplifiées concernent des entreprises de moins de 5 salariés et 750 000 euros de chiffres d’affaires. Pour la plupart, cela concerne des entreprises qui n’avaient plus d’activité ni de salarié ; « il n’y a donc pas de destruction d’emploi au moment de l’ouverture de la liquidation judiciaire ».
*Chiffres 2023, par rapport à 2022.
Source : greffe du Tribunal de Commerce de Dijon